CHAPITRE XVII

Système de Coruscant

Le Temps Record sortit de l’hyperespace à côté de Coruscant.

Lando commença aussitôt à transmettre.

— Cellule de Survie 38, ici Secours 2. Nous sommes arrivés. Soyez prêts à nous recevoir dans la zone cible A-19. Terminé.

Il n’y eut pas de réponse… et pour cause. Il n’y avait pas de Cellule de Survie 38, ni de zone cible A-19. Personne n’attendait ce message.

— Les instruments montrent l’approche d’une frégate, annonça le droïd.

— Lève les boucliers. Et commence à tirer.

Lando programma un cap qui devait les amener, en théorie, loin des autres vaisseaux-amiraux vong de la zone et plus près de l’atmosphère de Coruscant. Voyant les chiffres défiler, il fronça les sourcils. La frégate serait sur eux avant qu’ils soient en position.

Le Temps Record allait prendre des coups.

Il se pencha vers l’unité com.

— Cellule de Survie 38, ici Secours 2. Pourquoi ne répondez-vous pas ? Pourquoi ne répondez-vous pas ?

Eteignant l’unité com, il sourit à 11-A.

— Qu’en penses-tu ?

11-A commença à tirer, mais la frégate était encore trop loin.

— Mon analyseur de stress repère une forte charge émotionnelle dans vos trois dernières phrases. Vous donnez l’impression d’être un civil inquiet.

— Parfait. Et que penses-tu de la répétition ? Trop cliché ?

— Je ne suis pas programmé pour répondre à cette question.

11-A continua à tirer.

— La frégate largue des coraux-skippers. J’en ai détruit un.

— Je te suggère d’en déduire un deuxième.

— J’en ai détruit un deuxième.

— Je te suggère d’en déduire un troisième.

— Je me dois de le demander : êtes-vous en train de me diriger, ou de vous moquer de moi ?

— Je me moque de toi, 11-A. Par pur plaisir.

— J’en ai détruit un troisième.

— Je te suggère…

— J’en ai détruit un quatrième.

 

Luke attendait dans l’obscurité de la soute.

La nacelle de descente atmosphérique fournie par les Spectres était fixée à ses pieds. Une coque creusée dans un morceau de corail-skipper le protégerait de la chaleur.

Luke portait une imitation d’armure yuuzhan vong. La coquille de crabe vonduun n’aurait pas été assez souple pour un homme ayant une main mécanique et un sabre laser. Par-dessus, il avait enfilé une combinaison environnementale d’un modèle ancien, encombrante et peu pratique que personne ne regretterait quand l’atterrissage l’aurait réduite en pièces.

Il chercha Mara par l’esprit et sentit sa présence. Elle répondit, mais lui parut distraite. Sans doute pensait-elle à leur mission, ou à leur enfant.

La voix de Lando retentit dans leurs casques.

— Nous arrivons à portée. (La soute trembla.) Désolé. Un petit coup de plasma.

La voix de 11-A interrompit celle de son maître.

— J’en ai détruit un sixième.

— Ce n’est pas un concours, d’accord ? grogna Lando. Euh… Nous allons faire bientôt une manœuvre latérale et vous éjecter. Si vous vous retrouvez dans le vide de l’espace avant, continuez simplement sans moi.

— J’en ai détruit un septième.

— Je t’ai dit…

— J’apprends à me moquer de vous.

 

Lando se mit un casque sur la tête.

Sa tunique et sa cape dissimulaient une combinaison de pilote classique, qu’il vérifia pour être certain qu’elle le protégerait en cas de brusque chute de pression. Un morceau de plasma avait déjà brûlé une partie de la baie avant et l’air fuyait par les fissures.

Le Temps Record était secoué presque constamment. La poupe encaissait le plus gros des coups – des tirs de canon plasma à peine amortis par les boucliers mourants – alors que la proue était prise pour cible par un skip solitaire mais tenace.

Ils étaient presque arrivés en position. Lando activa le micro de son casque.

— Pénétration de la zone de largage dans quinze secondes. Il n’y aura pas de compte à rebours. Dès que nous y serons, je vous jette.

— Que la Force soit avec toi, Lando.

— Et la chance avec toi, Luke.

Lando éteignit son unité com et se concentra sur les commandes.

La manœuvre était délicate. Il fit virer le cargo à bâbord. Le vaisseau, qui menaçait de se désintégrer, gémit sinistrement.

— Prépare-toi, 11-A…

Un interrupteur surnommé « Go » avait été créé pour la mission. Lando l’actionna.

Le compensateur d’inertie se désactiva. Bien qu’attaché à son fauteuil, Lando fut propulsé vers la droite et entendit le bas du siège émettre un craquement désespéré sous la pression.

Si tout marchait comme prévu, les explosifs installés sur la coque devaient se déclencher. Ils n’étaient pas très puissants, juste assez pour projeter des débris et de la fumée dans tous les sens. De l’extérieur, le Temps Record semblerait secoué par une série d’explosions internes.

La fumée et les débris dissimulaient l’ouverture de la porte de la soute, provoquée par la manœuvre et par l’absence de gravité artificielle. Sur le tableau de bord de Lando, la jauge indiquait que la pression atmosphérique, à l’intérieur de la soute, approchait du zéro.

Lando jeta un coup d’œil par la baie. Un nuage de débris descendait lentement vers la surface de Coruscant.

Gagné.

Il activa de nouveau son unité com.

— Cellule de Survie 38, voilà ma dernière transmission. Navré que nous n’ayons pas pu parvenir jusqu’à vous. J’espère que vous aurez plus de chance la prochaine fois.

Ce message, il le savait, serait capté par un vaisseau espion de la Nouvelle République croisant à la limite du système de Coruscant, puis relayé jusqu’à Wedge : il signifiait que le largage de Luke et de son équipe était réussi.

Lando se tourna vers 11-A.

— Très bien, partons et…

Un jet de plasma frappa le centre de la section qui reliait les deux parties principales du Temps Record. Le vaisseau commença à se déchirer. Frappé par l’onde de choc, le fauteuil de Lando s’arracha du sol et, privé de gravité artificielle, s’envola vers le plafond, puis dériva vers le trou qui s’élargissait lentement dans la baie.

— Je n’aime pas la manière dont tourne cette histoire, grommela Lando.

 

Luke éprouva une impression de légèreté, puis de soudaine accélération. Ejecté du cargo, il tombait – espérait-il – vers Coruscant.

Il jeta un coup d’œil aux détecteurs intégrés à la coque, devant lui.

Trajectoire : correcte.

Effectif : correct.

Ils suivaient l’itinéraire prévu et aucun de ses compagnons n’était encore perdu. Pendant qu’il regardait, le compensateur d’inertie de sa combinaison s’activa, le faisant pivoter pour que ses pieds soient pointés en direction de la planète. De légères corrections de trajectoire effectuées par les répulseurs le maintiendraient à proximité des autres.

Luke soupira. Il détestait les petits vaisseaux quand il n’était pas aux commandes.

 

Et le mot « vaisseau » était une exagération très optimiste.

Ayant réussi à se détacher de son fauteuil, Lando flanqua un coup de pied dans la baie. Le mouvement l’éloigna du trou, mais des fissures inquiétantes apparurent là où son talon avait frappé.

11-A se libéra de son siège et se propulsa vers la baie, puis en direction de la porte. Il saisit Lando en passant, le poids de son maître ne semblant avoir aucun effet sérieux sur sa trajectoire. Puis il planta ses pieds dans le sol et, de sa main libre, déchira le sas.

L’atmosphère rugit en se précipitant sur le pont mais le droïd ne vacilla pas. Fonçant droit devant lui, il traversa les vestiges du sas et avança dans le couloir.

— Bon travail, dit Lando.

— S’agit-il d’une moquerie ou d’un compliment ?

— Aucun des deux. C’est une expression qu’on utilise parfois pour dire « merci »… et c’est ce que je voulais exprimer. Maintenant, peux-tu nous amener dans la soute ? Le dernier choc a propulsé le cargo dans l’atmosphère de Coruscant et je pense que ce vaisseau n’a plus que quelques secondes avant d’être réduit en cendres…

— Je vous en prie.

11-A flanqua un nouveau coup de pied et flotta vers le bout du couloir.

 

Luke sentait la chaleur. Malgré les promesses des Spectres, elle passait dans la coque, s’introduisait dans sa combinaison et traversait son armure. Il suait de la tête aux pieds.

Devant lui, le détecteur cessa de fonctionner. La surface intérieure de la coque passa du noir au rouge, puis au jaune… Bientôt, elle s’embrasa.

La nacelle trembla. Les répulseurs augmentèrent de puissance pour que l’unité conserve son équilibre.

Soudain, la coque disparut. Luke se trouva au milieu des flammes qui entouraient son unité comme une paroi mouvante, lui bloquant la vue.

Il fut ramené vingt-cinq ans en arrière, alors que les corps de son oncle Owen et de sa tante Beru fumaient devant lui sur le sable de Tatooine.

Il chassa ce souvenir et tenta de prendre du recul.

Si c’est dur pour moi, que doit ressentir Tahiri ? Une adolescente !

Un ralentissement soudain : ses genoux plièrent pour absorber le choc. La décélération resta constante alors que les flammes diminuaient, s’évanouissant.

Quelques instants plus tard, Luke y vit de nouveau. Mara était à moins de dix mètres, le visage dissimulé par la combinaison et l’armure yuuzhan vong. Les autres n’étaient pas loin.

A moins de deux kilomètres de la surface, ils étaient toujours en chute libre. L’unité commençait à ralentir.

Luke avait longtemps vécu sur Coruscant. Mais la surface de la planète ne ressemblait plus à ce qu’il avait connu. Une désolation absolue…

Au moins à l’horizon, les nuages orange et marron, la pluie et les éclairs restaient familiers.

— Sacré voyage, garçon de ferme.

La voix de Mara résonna, claire et nette, dans le casque de Luke. Les interférences dues à la friction avaient disparu.

— Plutôt réussi, dit-il.

— Face ?

C’était la voix de Tahiri, tremblante d’émotion. Luke grimaça. Mara et lui allaient devoir la rassurer.

— Oui ? répondit le Spectre.

— J’en veux un ! Il me faut un de ces trucs quand nous rentrerons sur Borleias. Quel pied ! On recommence ?

Luke secoua la tête et crut entendre le rire de Mara.

 

11-A utilisa son blaster sur le sas de la soute. Une fois celle-ci détruite, l’atmosphère les propulsa en avant, mais le droïd garda l’équilibre.

Lando passa la tête dans la soute. L’aile B paraissait en bon état. La rampe d’accès était invisible – peut-être avait-elle disparu – et par l’écoutille ouverte, il voyait les étoiles… Ainsi qu’un corail-skipper qui tirait toujours pendant qu’ils plongeaient dans l’atmosphère.

— Cassons-nous d’ici !

Une minute plus tard, alors que la coque du Temps Record commençait à s’enflammer, l’aile B de Lando émergea de la soute, filant loin des coraux-skippers et de la frégate.

11-A resta silencieux pendant que Lando programmait un cap qui les sortirait de l’attraction de Coruscant et les amènerait là où ils pourraient sauter dans l’hyperespace… Quelque part, n’importe où, loin de leurs poursuivants.

Enfin, il se tourna vers son droïd.

— Et tout ça dans ma plus belle tunique.

— Vous vous moquez encore ?

Borleias

Le complexe de biotique était en vue. Jaina lui jeta un bref coup d’œil, puis elle vit ses pilotes et les autres vaisseaux qui avaient survécu à l’attaque arriver derrière elle. Des dizaines de feux brûlaient dans la jungle près de la zone de sécurité.

Jaina tira sur quelques coraux-skippers. Une frégate yuuzhan vong volait à une dizaine de kilomètres, dans un secteur défendu par l’Escadron Rogue. Le vaisseau ennemi explosa quand une torpille à protons le frappa.

Mais d’autres frégates et des skips convergeaient vers le complexe.

Jaina secoua la tête. Devant un tel nombre d’adversaires, ils ne pourraient pas tenir.

Elle avait maudit Wedge Antilles au cours de la dernière partie de la bataille. Chaque fois qu’elle prenait l’avantage, les contrôleurs lui ordonnaient de se replier. On eût dit qu’ils ne voulaient pas qu’elle gagne.

Jaina comprenait à présent pourquoi. Rester sur ses positions aurait conduit à isoler les Soleils Jumeaux du reste des unités, les condamnant sans doute, ses pilotes et elle. Battre en retraite au même rythme que les autres escadrons était sans doute la meilleure solution.

Au même rythme que les autres escadrons.

Jaina jeta un coup d’œil à ses instruments. Oui, les calculs de Wedge étaient parfaits. Les forces de la Nouvelle République avaient reculé là où elles étaient trop puissantes. Et elles avaient été renforcées là où elles perdaient du terrain… Maintenant toutes les unités survivantes étaient regroupées à moins d’un kilomètre de la zone de sécurité.

— Jag, je dois des excuses à ton oncle, dit-elle.

— Pourquoi ?

— Je t’expliquerai plus tard.

— Toutes les unités, gagnez la zone de sécurité ! ordonna Iella. Vous avez quinze secondes. Quatorze. Treize.

Jaina fit reculer son escadron. Prenant position directement au-dessus de l’aire d’atterrissage, devant le bâtiment principal, elle dirigea ses lasers vers la jungle.

— Soleils Jumeaux, en position.

Utilisant ses répulseurs, elle se laissa flotter à bâbord tandis qu’un jet de plasma venait frapper une baie du complexe de biotique. Elle répondit d’un tir de laser.

D’autres commandants d’unités annoncèrent leur arrivée en position. La plupart… mais pas tous. Jaina frémit. Elle savait qu’il restait des alliés au-dessus de la jungle, des pilotes blessés qui n’avaient pas pu revenir à temps.

— Zéro, annonça Iella. Restez où vous êtes.

Alors, il commença à pleuvoir.

Pas de l’eau, mais des colonnes d’énergie destructrice venant de l’espace. Des rayons frappaient la jungle tout autour de la zone de sécurité.

Les turbolasers déchirèrent la forêt, détruisant tout sur leur passage. Les arbres explosèrent. L’eau se transforma en vapeur.

Les servants des trous noirs défensifs ne pouvaient rien prévoir, rien anticiper.

Jaina n’en crut pas ses yeux. Les destroyers stellaires ! Un bombardement orbital.

Un acte que la Nouvelle République n’avait jamais commis auparavant.

Jaina en avait entendu parler dans les programmes d’histoires… Un drame du passé qui ne la concernait guère…

Et aujourd’hui elle en était témoin. Le Lusankya accomplissait le travail pour lequel il avait été conçu, bien avant sa naissance.

Pendant quatre minutes, une pluie mortelle se déversa du ciel, dessinant un cercle presque parfait autour de la zone de sécurité. Puis, elle s’arrêta, et les grondements des rakamats agonisants moururent aussi.

Jaina sursauta quand son unité com bipa.

— Forces terrestres, ordonna Wedge. Nettoyez-moi ce qui reste.

Coruscant

Les répulseurs des nacelles s’activèrent pendant la dernière partie de la descente. Tous les membres du groupe de Luke atterrirent sur le même toit – à l’exception de Kell Tainer, qui le traversa et atterrit trois étages plus bas.

— Rien de cassé ! annonça-t-il. Hé, ils ont des holovidéos que je n’ai pas encore vues !

Luke retira sa combinaison, imité par les autres. Il regarda autour de lui. Quatre coraux-skippers volaient dans le lointain. Ils ne se dirigeaient pas vers eux, mais si Luke les voyait, les pilotes pouvaient aussi les apercevoir…

— Mettons-nous à couvert, dit-il. Jetez le matériel dans le trou ouvert par Kell. Attention dessous…

Sans son casque, mais vêtue de l’armure yuuzhan vong, Mara était d’une beauté sauvage.

— Retour au foyer, dit-elle.

Luke secoua la tête.

— Ce n’est plus notre foyer. Et je me demande si Coruscant le redeviendra jamais…

Vaisseau-monde yuuzhan vong, orbite de Pyria

Czulkang Lah fronça les sourcils. Comment avait-il pu ignorer le pouvoir du grand vaisseau triangle ?

Nom Anor, décida-t-il. Nom Anor, l’espion yuuzhan vong qui couvrait cette galaxie depuis des décennies. Malgré toutes ces années, il n’avait jamais remarqué que les humains donnaient trop souvent naissance à des jumeaux pour que ce phénomène ait une importance particulière à leurs yeux. Ne pas savoir cela avait coûté cher aux Yuuzhan Vong…

Que Jaina et Jacen Solo soient des jumeaux était devenu une arme pour les infidèles.

Maintenant, il semblait évident que Nom Anor avait omis d’informer le haut commandement militaire yuuzhan vong d’une tactique rare, mais dévastatrice, employée par les vaisseaux triangles.

Impardonnable ! Impardonnable !

— Rappelez les navires et les coraux-skippers qui harcèlent les forces orbitales ennemies, dit-il à son assistant. La bataille est terminée.

— Ce n’est pas possible, dit l’officier. Nous avons été humiliés. Nous avons échoué.

— Si vous ne pouvez vivre avec, trouvez un moyen de vous tuer, cracha Czulkang Lah. Et je me trouverai un assistant doté d’intelligence et de courage.

Le vieux guerrier se détourna. Il avait de mauvaises nouvelles à annoncer à son fils.

Borleias

La nuit tombait quand Jaina finit de vérifier les systèmes de son chasseur. Elle sortit du vaisseau, lui flanqua une petite tape affectueuse, fit un signe d’adieu à Cappie et se dirigea vers l’intérieur du bâtiment.

Jag l’attendait devant la porte, comme il en avait pris l’habitude ces derniers jours. Sur ses lèvres flottait un discret sourire que Jaina pensait être la seule à voir.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.

— Calrissian est revenu vivant de Coruscant. Bien entendu, il célèbre l’événement en organisant une grande fête pour sa famille, ses amis, les amis de ses amis et tous ceux qui lui paraissent intéressants. Il prétend avoir du cognac d’avant l’invasion. Que dirais-tu d’aller y faire un tour ?

Jaina secoua la tête, prête à refuser… Une réaction devenue une seconde nature depuis son arrivée sur Borleias. Mais elle se reprit à temps.

Passant son bras sous celui de Jag, elle sourit.

— Avec plaisir.